ESPAGNE - De l’unité politique à la guerre civile

ESPAGNE - De l’unité politique à la guerre civile
ESPAGNE - De l’unité politique à la guerre civile

Il est deux façons de suivre le déroulement de l’histoire de l’Espagne depuis le XVIe siècle: de l’extérieur ou de l’intérieur. Si l’on se place à l’extérieur, ce pays apparaît mêlé étroitement à la grande politique européenne jusqu’au début du XIXe siècle, puis réduit à l’état de petite puissance et se cantonnant le plus souvent dans la neutralité.

Au XVIe siècle, l’Espagne, à la suite de la constitution de l’empire de Charles Quint, devient soudain la puissance prépondérante en Europe. Maîtresse d’un domaine colonial qui lui fournit en abondance l’or et l’argent, elle dépense ces richesses sur les champs de bataille. Paladins du catholicisme, l’empereur et son fils Philippe II s’efforcent d’arrêter les progrès du protestantisme en Allemagne, puis aux Pays-Bas et en France, tout en faisant face au danger turc en Méditerranée. Au début du XVIIe siècle, l’Espagne fait encore grande figure, mais sa faiblesse interne et la politique française poursuivie avec continuité par Richelieu, Mazarin et Louis XIV, l’obligent à céder de nombreux territoires. Et quand s’éteint la dynastie habsbourgeoise, la guerre de Succession d’Espagne entraîne la perte des possessions d’Italie et des Pays-Bas. Le règne des Bourbons marque un redressement du pays qui participe aux mouvements de réforme européens. Il obtient quelques succès militaires et diplomatiques et, malgré l’hostilité de l’Angleterre, conserve son empire colonial.

Entraînée dans les guerres de la Révolution, l’Espagne se met à la remorque de Napoléon. Un sursaut d’énergie lui fait rejeter un roi intrus et elle étonne l’Europe en mettant en échec les armées impériales. Mais, au XIXe siècle, elle perd la plupart de ses colonies d’Amérique et use ses forces dans une succession assez incohérente de révolutions, de coups d’État et de guerres civiles.

Écrasée par les États-Unis en 1898, elle doit abandonner Cuba, Puerto Rico et les Philippines. En retard sur le plan économique et scientifique, elle passe alors, malgré la floraison des talents littéraires et artistiques, pour une puissance de second ordre. La chute de la monarchie en 1931 paraît dans la logique des choses, mais on ne prête guère attention aux tribulations de la IIe République. Brusquement, en 1936, la guerre civile éclate, avec son cortège d’héroïsme et d’horreurs. Alors Européens et Américains se passionnent pour cette lutte à la fois religieuse, idéologique et sociale, et viennent en aide à l’un ou l’autre camp. Volontaires et matériel étrangers affluent, prolongeant le conflit, sorte de répétition générale de la Seconde Guerre mondiale.

Si l’Espagne est sensible aux grands courants d’idées qui traversent l’Europe, elle n’en garde pas moins une personnalité assez mystérieuse. Selon Sánchez Albornoz, elle constitue «une énigme historique». C’est pourquoi une vue extérieure est insuffisante; il faut aussi regarder de l’intérieur. Les Espagnols, évidemment, n’y ont pas manqué. Tel événement, tel personnage ignoré au-dehors a sa place dans les manuels d’histoire. On a discuté à perte de vue sur les causes de la «décadence», sur la nécessité d’européaniser l’Espagne ou de défendre ses traditions. Des savants étrangers ont également cherché à éclaircir tous ces problèmes. Servie par la conservation d’incomparables archives, la science historique a réalisé de notables progrès. Aux études traditionnelles sur la politique et la religion sont venues s’adjoindre des recherches sur la démographie, l’économie, la société, les idées et les sentiments. Ainsi, quelques caractères originaux de l’histoire nationale ont pu être mis en relief.

Nous référant une seconde fois à Sánchez Albornoz, nous considérons tout d’abord que la Reconquête est la clef de l’histoire d’Espagne. Les musulmans ayant été refoulés peu à peu vers le sud, il en est résulté des différences profondes entre le Nord et le Midi en ce qui concerne le régime de la propriété, les conditions de travail, la mentalité. D’autre part, le catholicisme a gardé un esprit foncièrement militant, d’où l’expulsion des minorités juive et morisque, l’âpreté du conflit entre les «deux Espagnes», l’acharnement de la lutte en 1936-1939, considérée dans le camp victorieux comme une croisade. Mais
il faut indiquer aussi quelques autres thèmes fondamentaux. Ainsi l’opposition entre l’effort de centralisation, entrepris par la Castille surtout depuis Philippe V, et les résistances régionales, très vigoureuses en Catalogne et dans les provinces basques. Sous l’Ancien Régime, le sentiment de l’honneur apparaît comme le fondement de la société, avec, en contrepartie, un certain dédain pour l’activité économique. Mais des recherches récentes donnent à penser que les extraordinaires ravages causés par les épidémies au XVIIe siècle furent la cause principale de la décadence. Au XIXe siècle, jusqu’en 1874, les militaires interviennent constamment dans la vie politique. Ensuite s’établit un régime parlementaire assez artificiel, mais qui assura la tranquillité. Ce siècle, longtemps mal étudié et mal jugé, a à son actif des progrès économiques non négligeables. Enfin, une des caractéristiques essentielles de la société espagnole à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle fut le développement exceptionnel de l’anarchisme, accueilli avec plus de faveur que le socialisme par les populations de la bordure méditerranéenne. Il explique pour une bonne part la défaite des républicains en 1939.

1. Le Siècle d’or

Le XVIe siècle a été pour l’Espagne le «Grand Siècle». On attribue souvent aux Rois Catholiques la réalisation d’une véritable unification de l’Espagne. En fait, si le royaume de Grenade a été incorporé à la Castille, les deux couronnes d’Aragon et de Castille sont restées distinctes et leurs possessions séparées par une ligne de douanes. Seule a été réalisée une union dynastique, qui a permis une politique extérieure commune. La Navarre, conquise en 1512, a gardé elle aussi son autonomie. Deux institutions seulement ont étendu leur juridiction sur l’ensemble du territoire, le Conseil d’État, qui s’occupait surtout des affaires étrangères, et le Conseil de l’Inquisition.

Persistance de la diversité régionale

Par sa superficie et le chiffre de sa population, le royaume de Castille était de beaucoup le plus important. Il était assez homogène. Les trois provinces basques (Álava, Biscaye, Guipúzcoa) se différenciaient par leurs privilèges fiscaux et leur situation en dehors de la ligne de douanes. Le reste du territoire se divisait en dix-huit provinces, correspondant aux villes représentées aux Cortes. Le gouvernement était assuré par des Conseils, dont le principal, le Conseil royal ou de Castille, cumulait des attributions législatives, administratives et judiciaires. Les finances étaient gérées par le Conseil des finances et contrôlées par la Contaduría mayor de cuentas. Les impôts comprenaient des droits de douanes, une taxe sur les ventes (alcabala ), des revenus d’origine ecclésiastique, un droit d’un cinquième sur la production des mines d’Amérique (quinto ) et le tribut levé sur les Indiens, enfin les «services» votés par les Cortes. À cette assemblée, à partir de 1539, les représentants de la noblesse et du clergé ne furent plus convoqués. Outre leur rôle financier, les Cortes émettaient des vœux, souvent pris en considération par le monarque. Au sommet de l’organisation judiciaire se trouvaient deux tribunaux, les chancelleries de Valladolid et de Grenade. Les villes étaient administrées par des alcaldes , juges municipaux, et des regidores ou échevins , mais elles étaient soumises à l’autorité d’un corregidor nommé par le roi. Les pays de la couronne d’Aragon: Aragon, principat de Catalogne, royaume de Valence, Baléares, formaient une confédération qui avait ses prolongements en Italie (Sicile, Sardaigne). Sauf les Baléares, chacun conservait ses Cortes, sa députation permanente, sa monnaie, sa fiscalité et son droit particulier. Le souverain y était représenté par un vice-roi. Il n’y avait pas à proprement parler d’armée ni de marine permanente. On utilisait, outre des contingents féodaux, des troupes soldées obtenues en grande partie par un recrutement national. La flotte, à l’exception des galères de la Méditerranée, se composait surtout de navires marchands réquisitionnés.

Les données sur la démographie demeurent assez obscures. On ne dispose que de dénombrements fiscaux qui fournissent le chiffre des feux; on calcule celui des personnes en appliquant un coefficient plus ou moins arbitraire (4,5 ou 5). Et ces dénombrements ne sont pas de la même date pour tous les territoires. On estime ainsi la population à 7 400 000 habitants en 1541 et à 8 485 000 en 1591, le maximum ayant dû se placer entre ces deux dates. La répartition régionale était très différente de celle d’aujourd’hui. La Vieille-Castille et l’Andalousie étaient fortement peuplées; la côte cantabrique et la Catalogne n’avaient qu’une faible densité. Les grandes villes étaient, en Castille, Séville, Grenade, Tolède, Valladolid et Cordoue, dans la couronne d’Aragon Valence et Barcelone. Madrid, petite ville, accrut sa population en devenant capitale sous Philippe II.

Une économie fondée sur l’agriculture et le commerce

Le pays est foncièrement rural. La géographie y détermine trois zones fondamentales. D’abord l’Espagne humide de la côte cantabrique avec ses prairies et ses vergers, considérée à l’époque comme pauvre. Puis l’Espagne méditerranéenne, au climat chaud et sec, où s’opposent le secano , collines où règne l’association classique blé-vigne-olivier, et le regadío , plaines irriguées peu étendues, mais très fertiles, dont le prototype est la huerta de Valence, productrice de céréales, de légumes et de riz. Entre les deux, les vastes plateaux de la Meseta, de climat semi-continental, avec des terres à blé et des vignobles; l’olivier n’y dépasse pas la cordillère centrale. Dans l’ensemble du pays, très montueux, les terres incultes tenaient une large place et la sécheresse faisait peser une menace constante sur les récoltes. L’industrie, essentiellement artisanale, était beaucoup moins solidement implantée que dans les pays d’Europe occidentale. On tissait la laine à Ségovie, Tolède, Cuenca, Palencia, Cordoue, Saragosse et en Catalogne, la soie à Grenade, Tolède et Valence. Le travail du fer et les constructions navales étaient florissants dans les provinces basques. Les fleuves, sauf l’Èbre, n’étant pas navigables, les transports intérieurs utilisaient la voie de terre. Un réseau de chemins assez dense convergeant vers Tolède et Medina del Campo permettait le roulage sur les plateaux, mais, en terrain accidenté, on recourait aux bêtes de somme. Les transactions se faisaient aux marchés et aux foires, dont les principales se tenaient en Vieille-Castille, notamment à Medina del Campo. Outre le trafic des marchandises, on y procédait, grâce à la lettre de change et à un clearing par jeu d’écritures, à des paiements qui intéressaient aussi bien les finances de l’État que celles des particuliers. Les pays de la couronne d’Aragon, où Valence éclipsait désormais Barcelone, entretenaient des relations assez étroites avec l’Italie et la Provence. La Castille s’ouvrait sur la mer de trois côtés. Ses débouchés vers la Méditerranée étaient les ports de Málaga, Carthagène et Alicante, bien que ce dernier fît partie du royaume de Valence. Divers produits fabriqués venaient d’Italie où l’on exportait des balles de laine. Au nord, les ports cantabriques, Bilbao, Laredo, Santander, étaient en relations avec la Bretagne, la Normandie et les Pays-Bas. Le trafic de la laine et des assurances maritimes avait pour siège Burgos, véritable métropole commerciale. Toute cette région souffrit beaucoup de la révolte des Pays-Bas et des conflits avec l’Angleterre. La façade du Sud-Ouest était devenue la plus active. Séville, depuis longtemps fréquentée par des navires de l’Europe méditerranéenne ou atlantique, bénéficiait du monopole du commerce avec l’Amérique, ou, comme on disait alors, les Indes. La Casa de contratación, fondée en 1503, était chargée du contrôle du trafic. Pour éviter les dangers de la piraterie, les navires voyageaient de plus en plus en convois escortés par des vaisseaux de guerre. Passant par les Canaries et poussée par les vents alizés, la «flotte des Indes» atteignait les Petites Antilles. De là, une fraction gagnait la Nouvelle-Espagne (Mexique), l’autre la Terre Ferme (Colombie et isthme de Panamá). Au retour, rassemblée à La Havane, elle suivait un itinéraire plus au nord, par les Açores. Les exportations comprenaient des huiles et des vins d’Andalousie et de nombreux produits fabriqués, principalement des toiles de France ou des Pays-Bas. Le volume des importations, cuirs, sucre, cochenille, indigo, était beaucoup plus réduit, mais la flotte rapportait des quantités considérables de métaux précieux ; l’argent remplaça de plus en plus l’or. L’historien américain Earl J. Hamilton a chiffré ces apports d’or et d’argent et a établi le rapprochement avec la «révolution des prix», qui, en Espagne, a fait environ quadrupler ces derniers au cours du XVIe siècle. Cependant, pour certains, d’autres facteurs sont intervenus dans la hausse des prix. Le tonnage des navires qui ont traversé l’Atlantique dans les deux sens jusqu’en 1650 a été évalué par M. et P. Chaunu; en gros, comme pour les métaux précieux, ce volume croît jusque vers 1610-1620.

Une société fortement hiérarchisée

La structure de la société espagnole s’explique par la Reconquête. Dans le royaume de Castille, c’est dans la moitié nord que cette société était le mieux équilibrée, le nombre des paysans propriétaires étant assez élevé. Au contraire, dans le sud (Nouvelle-Castille, Andalousie), les terres conquises sur les musulmans furent réparties en grands domaines et les paysans furent réduits à l’état de journaliers, n’ayant de travail qu’une partie de l’année. Dans les pays de la couronne d’Aragon, la propriété était mieux répartie, mais il subsistait d’importantes minorités de musulmans mal convertis au christianisme. Cette société était très hiérarchisée: la haute noblesse comprenait en Castille les grands d’Espagne et les «titres de Castille», possesseurs d’immenses fortunes terriennes, dont la conservation était assurée par les majorats (mayorazgos ). Si son rôle politique diminua, sa richesse et son influence sociale ne furent pas atteintes. La petite noblesse, très nombreuse dans les provinces basques et aux Asturies, se composait d’hidalgos , jouissant de privilèges fiscaux et judiciaires, mais souvent pauvres. Le titre de caballero s’appliquait aux chevaliers des ordres militaires d’Alcántara, Calatrava et Santiago, qui possédaient des domaines étendus dans la Manche et l’Estrémadure. Le terme « bourgeoisie » n’a pas grand sens quand on parle du XVIe siècle. Dans les pays de la couronne d’Aragon, on distinguait dans la société urbaine, en dehors des nobles, trois échelons. Le plus élevé, celui des ciutadans , qui vivaient en rentiers, était très proche de la petite noblesse. Ensuite venaient les gens de loi, les négociants et les maîtres des corporations les plus en vue. Au bas de l’échelle se trouvaient les maîtres et compagnons des métiers ordinaires. Les distinctions sociales n’étaient pas aussi marquées en Castille, mais, là comme ailleurs, les fils de marchands avaient tendance à étudier la théologie ou le droit pour obtenir des bénéfices ecclésiastiques ou des offices royaux. On cherchait à devenir propriétaire terrien, à s’assurer des revenus par l’achat de rentes gagées sur des propriétés (censos ) ou de rentes sur l’État (juros ). Bref, l’idéal des «bourgeois» enrichis était de passer dans les rangs de la noblesse. Dans les campagnes, le sort des paysans, qui constituaient la grosse majorité de la population, variait beaucoup selon qu’ils étaient soumis au roi, à l’Église ou aux seigneurs, et aussi selon la région. Ainsi le régime seigneurial était plus dur en Aragon qu’en Catalogne. Les paysans aisés (labradores ) ne formaient en Castille qu’une minorité. La grande masse était très pauvre, surtout dans le Sud. En marge de la société vivaient les gitans et les gueux (pícaros ): vagabonds, mendiants, voleurs et brigands, ces derniers nombreux surtout en Catalogne.

Triomphe de l’unité religieuse

L’Église catholique était étroitement soumise au monarque, qui jouissait du droit de patronage pour la nomination à une cinquantaine d’archevêchés et d’évêchés. Les ressources du clergé étaient considérables: revenus des propriétés terriennes et dîmes, sans parler du casuel, mais il entretenait des écoles et des œuvres de charité. Il contrôlait de très près la vie intellectuelle, grâce aux collèges de jésuites (dans la seconde moitié du siècle) et aux universités, dont les plus notables étaient celle de Salamanque et celle d’Alcalá, fondée en 1508 par le cardinal Cisneros. Ce même prélat avait entrepris des réformes qui améliorèrent la moralité d’une partie du clergé. Alors que dans les siècles précédents les minorités dissidentes avaient été tolérées, à partir du règne des Rois Catholiques, on rechercha de plus en plus l’unité religieuse. Les juifs avaient dû choisir entre la conversion et l’exil en 1492. Ce fut le tour des musulmans du royaume de Grenade en 1502, puis de ceux de la couronne d’Aragon en 1525. On les appela dès lors « morisques ». Tous ces «nouveaux chrétiens» restaient suspects aux yeux du reste de la population. On exigea des preuves de pureté de sang (limpieza de sangre ) pour entrer dans certains collèges et chapitres, dans les ordres militaires et même dans les ordres religieux. Si les conversos d’origine judaïque réussissaient plus ou moins bien à s’intégrer à la société, les morisques, secrètement fidèles à l’islam, restaient beaucoup plus à part. Ils se révoltèrent en 1568 dans le royaume de Grenade et furent dispersés à travers la Castille. La pensée d’Érasme exerça une profonde influence, principalement à l’université d’Alcalá, mais dès 1537 le Saint-Office réagit en interdisant la lecture de ses œuvres en castillan et prescrivit leur expurgation dans le texte latin. Le protestantisme ne menaça pas sérieusement l’Espagne. Les groupes qui s’étaient formés à Valladolid et à Séville furent décimés par des autodafés en 1559 et 1560. Pour éviter toute contagion, Philippe II fit surveiller par l’Inquisition l’introduction des livres et interdit aux étudiants de fréquenter les universités étrangères. Le XVIe siècle fut une époque très brillante pour le catholicisme, avec la fondation de l’ordre des Jésuites par saint Ignace de Loyola, l’essor de la pensée théologique (Vitoria, Soto, Báñez, Molina, Mariana, Suárez) et du mysticisme (sainte Thérèse d’Ávila, fray Luis de León, saint Jean de la Croix).

Le XVIe siècle est celui de la prépondérance espagnole en Europe et de la fondation de l’empire d’Amérique, mais la terrible charge qu’imposèrent à la Castille Charles Quint et plus encore Philippe II est à l’origine de la décadence économique et financière qui caractérise le siècle suivant.

2. Une ère de déclin

Le XVIIe siècle fut celui du déclin dans tous les domaines, sauf dans les beaux-arts et en littérature, où le siglo de oro se prolongea assez tard.

Dépopulation et affaiblissement économique

Malgré l’insuffisance des données statistiques, la régression démographique est une certitude. Dans la couronne d’Aragon, l’expulsion des morisques en 1609-1610 fit perdre au royaume de Valence plus du quart de ses habitants, à l’Aragon un huitième, mais n’affecta guère la Catalogne. La terrible épidémie de peste de 1649-1652 frappa durement toutes ces régions. La Castille souffrit peu du départ des morisques (2 p. 100 de sa population), mais auparavant elle avait été durement éprouvée par la peste de 1599-1602. L’émigration vers l’Amérique et les guerres européennes contribuèrent aussi à la dépopulation. Le principal facteur de cette diminution paraît avoir été la ruine de l’économie. Ce sont les villes de Vieille-Castille qui accusèrent les plus lourdes pertes, tandis que Madrid croissait à un rythme rapide.

On dispose de peu de renseignements sur l’économie. Les prix agricoles baissèrent. La draperie déclina beaucoup plus nettement que la soierie. La chute du commerce des Indes est mieux connue. De 127 000 tonnes pour les années 1606-1610, le tonnage des navires pour l’aller serait descendu à 75 000 pour 1641-1645. Les importations de métaux précieux subissent elles aussi une baisse brutale, de 31 millions de pesos en 1606-1610 à 12 millions de pesos en 1646-1650. La prospérité de Séville fut très atteinte, et sa rivale Cadix, où la contrebande était plus facile, tendit à la supplanter. Les étrangers, favorisés par des traités de commerce conclus à la suite de guerres malheureuses, prirent une place grandissante dans la vie économique. Les Génois, qui avaient été les principaux financiers de la monarchie au XVIe siècle, cédèrent la place aux Portugais à partir de 1629. Dans le commerce colonial, le rôle des Français et des Hollandais devint prépondérant. La Catalogne constitue une exception dans la décadence générale. Durant les dernières années du siècle, son industrie textile connut un regain d’activité et le trafic du port de Barcelone doubla par rapport aux années 1600.

Échec de la politique espagnole

L’histoire politique de cette période est surtout celle d’une série de revers. Néanmoins, l’Espagne resta une très grande puissance jusqu’en 1659. Philippe II avait réussi à faire l’unité de la péninsule en ceignant la couronne de Portugal (1580). Les possessions européennes comprenaient la Sardaigne, la Sicile, Naples, le Milanais, la Franche-Comté. La Belgique actuelle, confiée à l’archiduc Albert et à l’infante Isabelle Claire Eugénie, revint après leur mort à l’Espagne. À l’immense empire d’Amérique s’ajoutaient le Brésil et les comptoirs portugais d’Asie et d’Afrique.

Trois règnes se succédèrent au cours de ce siècle, ceux de Philippe III (1598-1621), Philippe IV (1621-1665) et Charles II (1665-1700). Aucun de ces rois ne fut un grand souverain. Sous Philippe III, le pouvoir fut exercé par le duc de Lerme jusqu’en 1618. Il pratiqua une politique extérieure pacifique, signant en 1604 la paix avec l’Angleterre, en 1609 la trêve de Douze Ans avec les Provinces-Unies. Les relations avec la France, assez mauvaises du temps d’Henri IV, s’améliorèrent sous la régence de Marie de Médicis et deux mariages unirent les deux dynasties. L’événement marquant du règne fut l’expulsion des morisques, de 1609 à 1614, qui causa le départ d’environ 270 000 personnes, dont la plupart passèrent en Afrique du Nord. La situation financière se détériora. Contrairement aux souverains précédents qui avaient maintenu la stabilité monétaire, Philippe III eut recours à de nombreuses frappes de monnaie de cuivre qui produisirent une véritable inflation. Une banqueroute partielle eut lieu en 1607.

Le règne de Philippe IV fut plus long et plus mouvementé. Jusqu’en 1643, il laissa le pouvoir au comte-duc d’Olivares qui se lança dans une politique ambitieuse. Il voulait réduire les libertés des pays de la couronne d’Aragon pour obtenir d’eux une contribution financière et militaire qui permît à l’Espagne de jouer un rôle prépondérant en Europe. Sa proposition d’«union des armes», c’est-à-dire d’une étroite coopération militaire, se heurta à l’opposition des Catalans. Déjà, à la fin du règne précédent, l’Espagne s’était laissé entraîner dans les complications européennes en soutenant les Habsbourg d’Autriche contre leurs adversaires de Bohême et du Palatinat. Olivares alla plus loin: il refusa de renouveler la trêve de Douze Ans et se trouva ainsi engagé dans une longue guerre contre les Provinces-Unies. Avec la France, les rapports s’aigrirent après l’arrivée au pouvoir de Richelieu. Les deux pays s’opposèrent en Italie à propos de la Valteline, dont le contrôle permettait une jonction entre le Milanais et l’Autriche, et, plus tard, au sujet de la succession de Mantoue. Le sort resta longtemps favorable aux Espagnols. En 1634, ils remportèrent encore une grande victoire sur les Suédois à Nordlingen. L’année suivante, Richelieu se décida à la guerre ouverte contre l’Espagne, qui débuta assez mal. Mais, dès 1640, Olivares subit des échecs graves. La présence de troupes en Catalogne suscita un soulèvement. Après la proclamation d’une éphémère république, les révoltés firent serment d’allégeance à Louis XIII. En même temps, la noblesse portugaise proclama roi le duc de Bragance, sous le nom de Jean IV. Les Français s’emparèrent du Roussillon et Condé remporta la victoire de Rocroi (1643). Olivares, disgracié, fut remplacé par don Luis de Haro, qui réussit à signer à Münster une paix séparée avec les Provinces-Unies, désormais reconnues de jure , et à prolonger la résistance contre la France, grâce aux troubles de la Fronde. La Catalogne fut reconquise et ralliée moyennant le maintien de ses libertés (1652), mais le Portugal ne put être soumis. L’alliance franco-anglaise et la bataille des Dunes aboutirent à la conclusion du traité des Pyrénées (1659), qui stipula la cession du Roussillon et de l’Artois et décida le mariage de Louis XIV avec sa cousine Marie-Thérèse.

Le règne de Charles II, souverain débile, dont les chancelleries attendirent longtemps le décès, fut celui où la situation de l’Espagne fut la plus mauvaise. L’indépendance
du Portugal dut être reconnue en 1668. Louis XIV, arguant de son mariage, porta ses visées sur les territoires voisins des frontières françaises du Nord et de l’Est. La guerre de Dévolution (1667-1668) lui valut des places fortes de Flandre, la guerre de Hollande (1672-1678) la Franche-Comté et une frontière plus régulière en Flandre. Malgré de nouvelles victoires françaises, la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697) n’amena pas de nouvelles annexions. Désormais Charles II, n’ayant pas de postérité, se posait la question de la succession d’Espagne. Louis XIV essaya de s’entendre avec les puissances européennes pour partager à l’avance l’héritage. Ces projets, désavoués par Madrid, n’aboutirent pas, et un parti, dirigé par le cardinal Portocarrero, qui voulait maintenir l’unité de l’empire, détermina Charles II à signer un testament en faveur du duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. À sa mort (1er nov. 1700), Louis XIV résolut d’accepter le testament et le duc d’Anjou prit le nom de Philippe V. Sous le règne de Philippe IV et sous celui de Charles II, les événements intérieurs n’eurent pas la même importance. L’inflation de la monnaie de billon continua et on assista à plusieurs banqueroutes partielles. Sous Charles II, le gouvernement se montra respectueux des libertés locales.

3. Le XVIIIe siècle

Le XVIIIe siècle a été marqué par l’avènement de la dynastie des Bourbons, les progrès de la centralisation, la formation d’une opinion «éclairée», d’assez nombreuses réformes, une nette amélioration de la démographie et de l’économie.

Une période de stabilité

Une première période correspond aux règnes de Philippe V (1700-1746) et de Ferdinand VI (1746-1759). C’est, après le difficile établissement de la dynastie, une époque de stabilité. Les inquiétudes suscitées par la politique de Louis XIV en Europe provoquèrent la guerre de Succession d’Espagne (1702-1714). Dans la péninsule Ibérique, Philippe V fut menacé, à partir de 1706, par son rival l’archiduc Charles de Habsbourg, soutenu par les pays de la couronne d’Aragon. La fidélité des Castillans et l’aide de la France lui permirent de prendre le dessus après la victoire de Villaviciosa (1710).

L’avènement de Charles VI à l’empire, en détachant l’Angleterre de la coalition contre Louis XIV, amena la conclusion des traités d’Utrecht (1713) et de Rastadt (1714). Philippe V était reconnu comme roi d’Espagne, mais les Pays-Bas, le Milanais, le royaume de Naples et la Sardaigne furent attribués à l’Autriche, la Sicile au duc de Savoie, qui prit le titre de roi. Plus tard, la Sicile devait être échangée contre la Sardaigne. Ainsi l’Espagne perdait toutes ses possessions européennes. Philippe V, à l’instigation de sa seconde épouse, Isabelle Farnèse, chercha à reprendre pied en Italie, mais les tentatives de ses ministres successifs, Alberoni et Ripperda, furent contrecarrées par les autres puissances. Leur successeur, Patiño, qui développa la marine de guerre, réussit à installer don Carlos, fils aîné du second mariage, d’abord à Parme et à Plaisance, puis, grâce à l’intervention aux côtés de la France dans la guerre de Succession de Pologne, à le faire reconnaître comme souverain de Naples (1738). Enfin, la guerre de Succession d’Autriche permit à don Felipe, frère de don Carlos, de devenir duc de Parme et de Plaisance (1748). Ces succès n’aboutirent pas à une véritable reconstitution de l’empire espagnol, mais à l’établissement de branches cadettes de la dynastie en Italie.

L’avènement des Bourbons se traduisit par le développement de l’influence française, particulièrement forte pendant la guerre de Succession d’Espagne. La centralisation progressa. Les pays qui avaient soutenu l’archiduc perdirent leurs Cortes et la plupart de leurs libertés, Valence et l’Aragon dès 1707, la Catalogne en 1716 par le décret de Nueva Planta. Cette dernière province, mieux traitée que les autres, conserva son droit et certaines institutions propres. L’ensemble du territoire, divisé en vingt-quatre provinces, fut soumis à l’autorité du Conseil de Castille, qui partageait désormais le pouvoir avec quatre secrétaires d’État, sur le modèle français. Le roi était représenté dans les anciennes vice-royautés par un capitaine général, auprès duquel siégeait un tribunal (audiencia ), et dans les villes par des corregidores. Ce système fut complété, sous Ferdinand VI, par la généralisation des intendants. Cependant, la Navarre et les provinces basques, qui avaient été fidèles à Philippe V, conservèrent leurs fueros et restèrent en dehors de la ligne de douanes.

Ces transformations politiques s’accompagnèrent d’une poussée démographique. La population, estimée à 7 500 000 habitants en 1717, passa, d’après le recensement, beaucoup plus sûr, de 1768-1769, à 9 308 000, sans doute à cause de la disparition des grandes épidémies et de l’amélioration des conditions économiques. Dans l’industrie, les ministres de Philippe V tentèrent l’application des méthodes colbertistes. Des manufactures privilégiées furent fondées, notamment à Madrid et à la Granja. Le commerce intérieur bénéficia de la suppression de la ligne de douanes entre l’Aragon et la Castille et de la construction de quelques routes. La Casa de contratación fut transférée de Séville à Cadix, devenue la métropole du trafic avec l’Amérique. La compagnie de Caracas, qui avait son siège en Guipúzcoa, développa la culture du cacao au Venezuela et d’autres compagnies furent fondées pour le commerce avec les Philippines et La Havane. Si le niveau de l’enseignement demeura faible, quelques institutions savantes furent créées: Bibliothèque du roi, Académie royale (1712), Académies d’histoire, de médecine et des beaux-arts.

Charles III, «despote éclairé»

La période suivante se confond avec le règne de Charles III (1759-1788). À la mort de Ferdinand VI, il laissa le royaume de Naples et vint gouverner l’Espagne. Ce souverain pieux et consciencieux engagea le pays dans la voie de réformes prudentes et on le considère comme le représentant du «despotisme éclairé». Il confia le pouvoir à des ministres réformateurs. L’un d’eux, un Italien, le marquis de Squillace, provoqua une émeute en voulant changer l’habillement des Madrilènes (1766). La direction des affaires incomba à un grand seigneur aragonais, influencé par les encyclopédistes français, le comte d’Aranda, président du Conseil de Castille jusqu’en 1773. Plus tard, le principal ministre fut don José Moñino, comte de Floridablanca, d’abord procureur au Conseil, puis secrétaire d’État aux Affaires étrangères (1777), sensiblement plus modéré que ses prédécesseurs. Pendant toute la durée du règne, Pedro Rodríguez, comte de Campomanes, procureur au Conseil, puis président, exerça une constante influence par ses rapports et ses écrits sur les questions ecclésiastiques et économiques. Ces ministres furent soutenus, non par la masse du peuple, très défiante à l’égard des nouveautés, mais par une élite, qui se groupa principalement dans les sociétés économiques créées à l’instigation de Campomanes sur le modèle de la société basque. Dans ces milieux éclairés, on se préoccupait surtout de développer l’enseignement, particulièrement celui des sciences appliquées, ainsi que l’industrie, en somme de cultiver un esprit pratique qui avait trop souvent fait défaut. À la différence de ce qui se passait en France, la religion ne fut pas attaquée. D’ailleurs, l’Inquisition, bien qu’elle usât désormais de méthodes plus douces, veillait. Elle s’efforça d’empêcher l’introduction de livres subversifs et manifesta sa puissance lors du procès de Pablo de Olavide, qui fut condamné à la réclusion dans un couvent, mais put se réfugier en France.

Les réformes s’étendirent à des domaines très variés. En matière ecclésiastique, Charles III maintint la politique régaliste héritée de ses prédécesseurs. Prenant prétexte de l’émeute de 1766, Aranda décida l’expulsion des Jésuites de la métropole et des colonies d’Amérique (1767). Les démarches de Floridablanca en cour de Rome contribuèrent à la suppression de l’ordre (1773). Il fut assez difficile de remplacer les Jésuites comme éducateurs. Dans les universités, on encouragea l’enseignement des sciences. Une réforme municipale fit siéger à côté des anciens regidores un syndic et des députés du peuple, élus au suffrage restreint. Les questions économiques passèrent au premier plan. Certaines mesures procédèrent des idées libérales venues de France, comme la liberté du commerce des grains (1765) et le droit de commercer avec l’Amérique, qui fut accordé à plusieurs ports, d’abord pour les Antilles (1765), puis pour les autres colonies, sauf le Mexique et le Venezuela (1778). Des restrictions furent apportées aux privilèges de la Mesta et à ceux des corporations. On s’efforça de réhabiliter le travail manuel. Cependant, les idées colbertistes inspirent encore la fondation de manufactures d’État. Plus efficace fut la politique des travaux publics. Floridablanca créa un réseau routier reliant la capitale aux principales villes. L’achèvement du canal d’Aragon, la construction d’un barrage près de Murcie permirent l’extension des zones irriguées. Olavide fonda les célèbres «nouvelles colonies» de la sierra Morena et de la Basse-Andalousie. Madrid fut l’objet d’embellissements (Puerta de Alcalá). La réussite fut moins évidente en matière financière, en raison des lourdes dépenses de guerre. Quelques modifications furent apportées au régime fiscal. Du papier-monnaie fut mis en circulation à partir de 1780 et une banque d’État, la banque de Saint-Charles, fut créée en 1782 par le financier Cabarrus.

La politique extérieure de Charles III fut très active. Il conclut avec la France le troisième pacte de famille qui l’entraîna dans la guerre de Sept Ans. Le traité de Paris (1763) amena la cession à l’Angleterre de la Floride, en échange de laquelle la France offrit la Louisiane. L’Espagne participa également à la guerre d’Indépendance des États-Unis, dont les résultats furent plus heureux: le traité de Versailles (1783) lui rendit Minorque et la Floride. Mais ces guerres furent nuisibles au commerce.

Prépondérance de la politique extérieure

Beaucoup plus que celui de Charles III, le règne de Charles IV fut dominé par les questions de politique extérieure. La Révolution française suscita dans l’opinion une hostilité presque générale et Floridablanca s’efforça d’empêcher la pénétration des idées subversives. Dans l’espoir d’améliorer les rapports avec la France, le roi confia le pouvoir à Aranda, mais celui-ci dut, après le 10 août 1792, céder la place à un nouveau venu, Godoy, favori de la reine Marie-Louise. Après l’exécution de Louis XVI, la guerre devint inévitable. Prometteurs furent les débuts; mais, par la suite, les armées de la Convention envahirent la Catalogne et le Guipúzcoa et la paix fut conclue à Bâle en 1795. Bientôt, l’Espagne s’allia avec le Directoire par le traité de San Ildefonso (1796) et se trouva ainsi en guerre avec l’Angleterre, au grand dam du commerce d’Amérique. Godoy fut écarté un moment du poste de Premier ministre, mais dès 1800 son influence redevint prépondérante. Après la paix de Lunéville, un royaume d’Étrurie fut constitué au profit du duc de Parme, gendre des souverains, tandis que se déroulait sur la frontière portugaise la «guerre des Oranges». La paix d’Amiens mit fin aux hostilités avec l’Angleterre (1802). L’Espagne ne connut qu’un répit de moins de trois ans, car Bonaparte, qui voulait s’assurer le concours de sa flotte contre l’Angleterre, la fit rentrer en guerre en décembre 1804. Le désastre de Trafalgar déjoua ses plans. Les deux gouvernements s’entendirent pour démembrer le Portugal qui avait refusé d’adhérer au Blocus continental. Ce fut pour Napoléon un excellent prétexte pour faire pénétrer ses troupes en Espagne, où il songeait à établir une sorte de protectorat. Au moment où Charles IV et la reine se disposaient à quitter Aranjuez pour échapper à la pression française éclata une émeute contre Godoy. Le roi, effrayé, le destitua, puis abdiqua au profit de son fils, qui prit le nom de Ferdinand VII (19 mars 1808).

Dans l’ensemble, le règne de Charles III et, à un moindre degré, celui de Charles IV représentent une période de prospérité. Le recensement de 1787 accuse une forte augmentation de la population, qui passe à 10 409 000 habitants. Puis le chiffre resta stationnaire: 10 541 000 en 1797. Les prix dénotent une conjoncture économique favorable. La soierie se développe à Valence. En Catalogne se constitue une vigoureuse industrie cotonnière et le port de Barcelone est animé par un trafic croissant. Si on ajoute à cela la prospérité des provinces basques, on peut en conclure que le poids des régions périphériques dans l’économie espagnole ne faisait que grandir.

4. L’ère de l’instabilité (1808-1874)

Les événements de 1808 ont instauré une ère d’instabilité politique, marquée par une série de guerres (guerre d’indépendance, soulèvement des colonies d’Amérique, première guerre carliste), par une lutte très vive entre partisans de l’absolutisme et ceux du régime libéral et plus tard entre modérés et progressistes, par l’intervention presque continuelle de l’armée dans la vie politique et par des changements fréquents de constitution. Le rôle international de l’Espagne est devenu tout à fait secondaire. Cependant, malgré tous ces déboires, les progrès de la démographie et de l’économie ont été sensibles.

La guerre d’indépendance

Après l’émeute d’Aranjuez, Murat convainquit Ferdinand VII de se rendre à Bayonne auprès de Napoléon qui obtint son abdication. Une assemblée de notables reconnut Joseph Bonaparte comme roi et adopta une nouvelle constitution. Le Conseil de Castille se rallia à Joseph qui trouva le soutien d’un parti recruté surtout dans les classes supérieures de la société, celui des afrancesados. Mais la masse du peuple se montra hostile. Le 2 mai 1808, une insurrection avait été réprimée par Murat à Madrid. Ainsi débuta la guerre d’indépendance. Des juntes se formèrent dans diverses provinces et se fédérèrent en une junte centrale présidée par Floridablanca. Si, dans un premier temps, Joseph put s’installer dans sa capitale, il dut la quitter après la capitulation du général Dupont à Bailén. Il fallut l’intervention personnelle de Napoléon à la tête de la Grande Armée pour reprendre Madrid après la victoire de Somosierra (30 nov. 1808). La guerre se prolongea. Les maréchaux de Napoléon avaient en face d’eux des troupes régulières espagnoles qu’ils battirent assez facilement, le corps expéditionnaire anglais de Wellington, beaucoup plus redoutable, et enfin des guerilleros , qui attaquaient les lignes de communication et obligeaient à entretenir des forces d’occupation nombreuses. La guerre d’Espagne fut la première des guerres nationales; son caractère acharné se reflète dans les fameuses estampes de Goya. Les maréchaux remportèrent de nombreux succès, notamment en 1810, lorsque Soult conquit presque entièrement l’Andalousie, et en 1812, lorsque Suchet prit Valence. Mais, cette même année, Wellington battait Marmont aux Arapiles. En 1813, il contraignit les Français à la retraite, leur infligea une défaite décisive à Vitoria et envahit le Sud-Ouest. Une suspension d’armes intervint en avril 1814. Si l’immense majorité du peuple espagnol était hostile à l’étranger, elle se divisait cependant en plusieurs tendances. Les masses populaires, très attachées au roi et à la religion, se souciaient peu des problèmes constitutionnels. L’élite comprenait des partisans d’un réformisme modéré à la suite de Jovellanos et des libéraux avancés qui voulaient appliquer les principes de la Révolution française. Ces derniers eurent la majorité aux Cortes de Cadix (1811-1813), prirent des mesures contre le régime seigneurial et la mainmorte ecclésiastique et supprimèrent l’Inquisition. La Constitution de 1812, tout en étant inspirée par des principes religieux et moraux, proclamait la souveraineté et l’unité nationale et confiait à une assemblée unique l’initiative en matière législative ainsi que le vote du budget, alors que les pouvoirs du monarque étaient sérieusement limités. Elle servit par la suite de référence au parti libéral.

Napoléon ayant rendu sa couronne à Ferdinand VII, celui-ci, en rentrant en Espagne, déclara nulle et non avenue l’œuvre des Cortes et rétablit l’Ancien Régime. Les libéraux, qui s’appuyaient sur la franc-maçonnerie et une partie de l’armée, tentèrent sans succès plusieurs conspirations, jusqu’au jour où le pronunciamiento déclenché près de Cadix par le commandant Rafael del Riego réussit (1820). Le roi accepta la Constitution de 1812 et laissa pendant trois ans gouverner les libéraux qui reprirent le programme des Cortes de Cadix, tandis que les absolutistes recouraient à la guérilla. Au congrès de Vérone, les puissances européennes confièrent à la France la mission d’intervenir, et la promenade militaire des «cent mille fils de saint Louis» mit fin au régime libéral (1823). L’absolutisme fut rétabli; beaucoup de ses adversaires furent emprisonnés ou s’exilèrent. Ferdinand se remaria en 1829 avec la princesse Marie-Christine des Deux-Siciles, dont il eut deux filles. Alors que Philippe V avait introduit en Espagne la loi salique, il décida que les femmes seraient aptes à régner.

Le règne d’Isabelle II

À la mort de Ferdinand (1833), Isabelle II, qui n’avait que trois ans, fut proclamée reine et Marie-Christine régente. Cette solution fut soutenue par les libéraux et combattue par les absolutistes; ceux-ci se rallièrent à don Carlos, frère du roi défunt, qui revendiquait la couronne. Ainsi commença la première guerre carliste. Don Carlos trouva des partisans dans une bonne partie de la noblesse et du clergé et dans certaines régions (Catalogne, Valence, Navarre, provinces basques). La régente fut aidée par la France et l’Angleterre; la Prusse, l’Autriche et la Russie manifestèrent leurs sympathies au carlisme. La guerre fut longue et marquée par des atrocités de part et d’autre. Le chef carliste Zumalacárregui obtint des succès au Pays basque, mais fut mortellement blessé au siège de Bilbao (1835). Les libéraux restèrent en possession de Madrid et de la majeure partie du territoire. Finalement, les carlistes se divisèrent. Le général Maroto conclut avec Espartero, qui commandait les troupes de la régente, la convention de Vergara, laquelle assurait à ses officiers la conservation de leur grade (1839). La guerre prit fin l’année suivante.

Pendant les sept années que dura le conflit, les libéraux avaient accompli de profondes réformes. La Constitution de 1837 reprit les principes de celle de 1812 avec le correctif d’une deuxième assemblée. Plus importantes furent les mesures qui affectaient le régime de la propriété, le partage des biens communaux, la suppression des majorats et surtout celle de la mainmorte ecclésiastique décidée par le ministre Mendizábal. Les biens des institutions et communautés religieuses furent déclarés propriété nationale et mis en vente, à charge pour l’État d’assurer des ressources suffisantes au clergé. Cette législation mit fin à l’ancien régime économique et social. On admet qu’elle profita à une partie de l’aristocratie et à la bourgeoisie, qu’elle n’empêcha pas le maintien ou la constitution de latifundia et qu’elle ne permit pas réellement aux masses paysannes d’accéder à la propriété. La question agraire était loin d’être résolue. Les libéraux se divisaient en deux tendances, les modérés et les progressistes, qui avaient pour chef Espartero. Il obligea Marie-Christine à s’expatrier et exerça à sa place la régence (1840). En 1843, il fut renversé par un autre général, Narváez, qui se hâta de proclamer la majorité d’Isabelle II.

Le règne personnel de cette souveraine représente une époque de calme relatif, bien que les luttes entre modérés et progressistes aient été assez vives. Les premiers, appuyés sur les classes dirigeantes, acceptaient les changements intervenus depuis 1833, mais voulaient défendre la propriété et l’ordre public et s’entendre avec l’Église, dont le statut fut réglé par le concordat de 1851. Enfin, ils restaient fidèles au suffrage restreint. Leurs adversaires, qui recrutaient des adhérents dans les rangs de la petite bourgeoisie et avaient des sympathies dans l’armée, invoquaient le principe de la souveraineté nationale et finirent par réclamer le suffrage universel. Ils étaient assez disposés à recourir à l’émeute. La masse paysanne se désintéressait de la politique, ou, dans certaines provinces, conservait de l’attachement pour le carlisme. Les modérés se maintinrent au pouvoir, sauf pendant deux ans, où, à la suite du pronunciamiento de Vicálvaro, les progressistes les supplantèrent (1854-1856). Les généraux continuèrent à jouer les premiers rôles: à gauche, Espartero, à droite Narváez, puis O’Donnell, qui avait essayé de former un groupe intermédiaire, l’Union libérale. Chaque parti cherchait à imposer une constitution de son crû. Celle de 1845, œuvre des modérés, fut remplacée momentanément par une autre d’inspiration progressiste en 1856, puis remise en vigueur. Très importante fut la fondation de la Garde civile (1844).

Crise intérieure

L’année 1868 marque le début d’une crise politique sans précédent. La monarchie isabéline, discréditée, s’effondra à la suite de la révolution de Septembre (la Gloriosa ) et la reine dut se réfugier en France. Des Cortes constituantes, élues au suffrage universel, confièrent le pouvoir au général Serrano et votèrent une constitution qui établissait une monarchie parlementaire et la liberté des cultes. Serrano fut promu régent et un autre général, Prim, chef du gouvernement. Il restait à trouver un souverain. La candidature du prince Leopold de Hohenzollern fut à l’origine de la guerre de 1870. Finalement, le fils du roi d’Italie, Amédée de Savoie, accepta la couronne (1871). Privé de l’appui de Prim, assassiné, il se heurta à d’énormes difficultés: l’insurrection de Cuba qui durait depuis 1868, une nouvelle guerre carliste dans le Nord, une agitation en faveur de la république fédérale dans les régions méditerranéennes. Découragé, il abdiqua en février 1873. La république fédérale fut alors proclamée. En moins d’un an, quatre présidents se succédèrent. Les fédéralistes intransigeants se hâtèrent de proclamer l’indépendance des «cantons» dans les régions du Levant et de l’Andalousie. Le président Emilio Castelar fit intervenir l’armée contre les «cantonalistes». Un premier coup d’État, réalisé par le général Pavía, fit passer le pouvoir aux mains de Serrano (2 janv. 1874). Un second coup d’État, fin décembre, le pronunciamiento du général Martínez Campos, rétablit la monarchie en faveur d’Alphonse XII, fils d’Isabelle II.

Déclin de la politique extérieure

Cette période mouvementée coïncide avec l’effacement du rôle de l’Espagne à l’extérieur. Le fait capital est la perte des colonies d’Amérique. Préparés par le relâchement des liens avec la métropole pendant les guerres contre l’Angleterre, provoqués plus directement par l’intervention napoléonienne dans la péninsule, les mouvements d’indépendance se manifestèrent à partir de 1810. La restauration de Ferdinand VII permit de ramener les colonies à l’obéissance, sauf l’Argentine et le Paraguay (1816). Mais les mouvements reprirent et aboutirent à l’indépendance du Chili (1818) et de la Grande-Colombie (1819). La révolution de 1820 facilita la tâche des insurgés. Le Mexique devint indépendant en 1821, Bolívar et San Martín libérèrent l’Équateur et le Pérou, et, en décembre 1824, la bataille d’Ayacucho mit fin à la domination espagnole. Seuls furent conservés Cuba et Puerto Rico. Désormais l’Espagne, qui n’avait joué qu’un rôle très effacé au congrès de Vienne, tomba au rang de puissance de second ordre. Jusqu’en 1874, sa politique extérieure présente peu d’événements intéressants; sous Isabelle II, quelques interventions militaires aux côtés de la France en Cochinchine et au Mexique et une expédition victorieuse au Maroc sous la conduite d’O’Donnell, qui ne changea guère le statut territorial (1859-1860).

Prospérité économique

L’agitation politique n’a pas empêché l’augmentation de la population et de l’activité économique. Mais la croissance démographique est beaucoup plus sensible sous le règne d’Isabelle II que dans le premier tiers du siècle. La population serait passée de 10 541 000 en 1797 à environ 12 millions vers 1833. Évidemment, la guerre de l’indépendance a freiné son accroissement. Pour 1857, un recensement sûr indique 15 455 000 habitants. Ce bond en avant s’est produit malgré des épidémies de choléra en 1833-1835 et 1853-1856. Après 1860, on note un ralentissement. L’accroissement du nombre de bouches à nourrir et la suppression de la mainmorte ont eu pour conséquences une extension considérable des surfaces cultivées pour le blé, mais plus encore pour la vigne. L’industrie s’est concentrée dans deux centres principaux: en Catalogne où le textile a bénéficié des progrès du machinisme et où se sont développées les constructions mécaniques et navales, dans les Asturies et dans les provinces basques. En Andalousie, on a exploité les minerais de cuivre de Río Tinto et de plomb de Linares. L’amélioration des voies de communication fut très sensible. 9 500 kilomètres de routes nouvelles furent tracées sous le règne personnel d’Isabelle II, mais ce fut surtout l’époque des chemins de fer. Avant le vote de la loi de 1855, il n’existait que quelques petites lignes. En quelques années, 4 800 kilomètres de voies ferrées furent construites avec l’aide de capitaux étrangers et relièrent Madrid aux principales villes de la périphérie. Mais l’adoption d’un écartement plus large que celui du réseau européen constituait un inconvénient à ce développement.

Les lettres et les arts connurent un essor assez remarquable. Le mouvement romantique, qui débuta vers 1820, fut d’abord l’expression d’une sorte de culte du passé, puis, à partir de 1834, il fut associé aux idées libérales. Le point faible reste l’enseignement, malgré l’adoption en 1845 d’un plan de réformes de l’Université et l’obligation théorique de l’instruction primaire. En fait, le pays restait à l’écart du grand mouvement scientifique européen et la masse de la population demeurait illettrée.

5. La Restauration et le règne d’Alphonse XIII (1875-1931)

On appelle généralement Restauration les années du règne d’Alphonse XII (1875-1885) et de la minorité d’Alphonse XIII, sous la régence de sa mère, Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (1885-1902). Mais cette période se prolonge sans changement majeur jusque vers 1917, lorsque s’ouvre une crise qui, après la dictature de Primo de Rivera, se terminera par la chute de la monarchie.

La Restauration

Une relative stabilité

Par contraste avec la précédente, cette période se caractérise par la stabilité constitutionnelle. La Constitution de 1876 a fonctionné jusqu’en 1923. Elle établissait une monarchie parlementaire avec deux chambres, Sénat et Cortes. Le suffrage restreint, adopté à l’origine, fut remplacé en 1890 par le suffrage universel. Cánovas del Castillo, instaurateur du système, était convaincu qu’il ne pouvait fonctionner que sur le modèle anglais, c’est-à-dire par l’alternance au gouvernement de deux grands partis respectueux de la Constitution. Tout en prenant la direction du parti conservateur, il poussa à la formation d’un parti libéral, dont le chef fut Sagasta. Effectivement, les deux partis exercèrent tour à tour le pouvoir. Seules les apparences de la démocratie étaient respectées, car lorsque le souverain désignait pour président du Conseil un homme politique, celui-ci, aux élections suivantes, s’assurait une majorité grâce à la pression de l’administration centrale et à l’influence des «caciques» locaux. Il faut dire que la société espagnole était très différente de la société anglaise et que l’on comptait 75 p. 100 d’analphabètes en 1877 (66 p. 100 en 1900). Ce système offrait du moins l’avantage de mettre un terme aux pronunciamientos. Deux partis restaient en dehors du régime, les carlistes et les républicains. Cánovas parvint à mettre fin à la seconde guerre carliste en 1876, à la suite de quoi les provinces basques perdirent leurs fueros. Quant aux républicains, ils se partageaient en plusieurs tendances. Si Ruiz Zorrilla inspira encore quelques conspirations infructueuses, le chef le plus prestigieux, Castelar, finit par accepter la monarchie. Dans les vingt premières années de la Restauration, la vie politique fut assez calme. Les deux grands partis, assez proches l’un de l’autre, étaient tous deux favorables à la centralisation et réalisèrent une œuvre législative importante, notamment la rédaction d’un Code civil. À partir de 1895, les révoltes coloniales, l’assassinat de Cánovas par un anarchiste, et plus encore le désastre de 1898 mirent le point final à cette relative tranquillité et suscitèrent une vague de découragement.

Troubles sociaux et politiques

Lorsque Alphonse XIII commença son règne personnel en 1902, il se trouva affronté à des problèmes plus graves que ses prédécesseurs. Le carlisme était devenu à peu près inoffensif, mais à sa place se développaient des mouvements régionalistes. Le plus puissant, le catalanisme, d’abord littéraire et sentimental, formulait maintenant un programme politique et organisait un parti, la Lliga, qui obtenait des succès électoraux. Le nationalisme basque, lui, en était encore à ses débuts. Surtout, la question sociale se posait dans toute son acuité. Le mouvement ouvrier, qui avait débuté timidement sous la première République, était devenu une force. Mais il s’était très rapidement divisé en deux branches concurrentes. Les socialistes marxistes, qui suivaient Pablo Iglesias, avaient formé une confédération syndicale, l’Union générale des travailleurs (U.G.T.), qui recrutait ses adhérents dans le prolétariat de Madrid et du Nord. En face d’eux grandissait un mouvement anarchiste, beaucoup plus fort que dans tout autre pays d’Europe. Les idées de Bakounine, introduites en Espagne par l’Italien Fanelli, avaient trouvé une audience extraordinaire dans les régions méditerranéennes et en Andalousie. Elles rallièrent non seulement des ouvriers, mais encore de nombreux journaliers agricoles qui vivaient dans la misère. On en arriva ainsi, en 1911, à la constitution de la Confédération nationale du travail (C.N.T.), d’inspiration anarchiste, dont les effectifs dépassèrent largement ceux de l’U.G.T.

Malgré cette conjoncture politique plus difficile, le régime parlementaire fonctionna à peu près régulièrement jusqu’en 1917. Les principaux hommes d’État de ce temps-là furent, pour le parti conservateur, Antonio Maura, qui eut à faire face à la «Semaine tragique» de Barcelone, marquée par de nombreux attentats, et qui dut quitter le pouvoir après l’exécution de Francisco Ferrer (1909), et Eduardo Dato, initiateur de réformes sociales; pour le parti libéral, José Canalejas, qui pratiqua une politique modérément anticléricale, puis le comte de Romanones. Canalejas et Dato devaient périr l’un et l’autre victimes des anarchistes. En 1917, alors que les deux grands partis étaient déjà affaiblis par des dissidences, éclata une crise d’une extrême gravité. Des «juntes de défense militaire», formées par des officiers mécontents de leur sort, traitèrent d’égal à égal avec le pouvoir civil, puis une grève générale faillit paralyser le pays. Par la suite, les crises ministérielles se succédèrent à un rythme rapide, tandis que le désordre régnait à Barcelone et que l’armée du Maroc subissait le désastre d’Annual (1921).

Primo de Rivera

Ainsi s’explique le succès du coup d’État du général Primo de Rivera qui, en 1923, renoua avec la vieille tradition des pronunciamientos. Il fut appuyé par Alphonse XIII, qui y vit un moyen de rétablir l’ordre. Primo de Rivera gouverna d’abord avec une junte militaire, puis avec des ministres civils. Ayant suspendu l’activité de tous les partis politiques, il tenta de susciter une formation favorable au régime, l’Union patriotique. Il obtint la collaboration sur le plan technique du leader ouvrier Largo Caballero, nommé conseiller d’État, mais s’aliéna les Catalans en supprimant l’organisme commun qui avait été concédé à leurs quatre provinces en 1911, la Mancomunidad. Les finances furent gérées avec prudence par Calvo Sotelo et le réseau routier amélioré. Le Maroc fut pacifié. Mais la crise internationale de 1929 eut des répercussions sur l’économie et les finances espagnoles ; l’hostilité des anciens hommes politiques et des intellectuels devint de plus en plus vive. Primo de Rivera, qui n’était plus soutenu par ses pairs, quitta le pouvoir en janvier 1930. Il devait mourir peu après. Alphonse XIII essaya vainement de revenir au régime parlementaire par des cabinets de transition présidés par le général Berenguer et l’amiral Aznar. Malgré l’échec d’un pronunciamiento républicain tenté par la garnison de Jaca, l’opinion publique devenait nettement défavorable à la monarchie. Les élections municipales du 12 avril 1931 prirent l’allure d’un plébiscite contre le roi, les républicains l’emportant dans presque tous les chefs-lieux de provinces. Alphonse XIII se décida très rapidement à quitter l’Espagne. Le 14 avril, la république était proclamée.

Effacement international

Pendant toute cette période, l’Espagne ne joua qu’un rôle secondaire dans les affaires internationales. La Restauration conserva une attitude de neutralité entre les blocs de puissances européennes. Elle réussit en 1878 à apaiser l’insurrection cubaine. Mais, à la fin du siècle, les partisans de l’indépendance se soulevèrent de nouveau à Cuba (1895), puis aux Philippines (1896), obligeant ainsi l’Espagne à un effort militaire considérable. En 1898, l’intervention des États-Unis aux côtés des insurgés conduisit à des désastres pour l’Espagne, tant aux Philippines qu’à Cuba, où l’escadre de l’amiral Cervera fut anéantie par la flotte américaine en tentant de sortir du port de Santiago. Le traité de Paris (22 déc. 1898) stipula la cession de Puerto Rico et des Philippines et la reconnaissance de l’indépendance de Cuba. La perte de ces territoires fut douloureusement ressentie par l’opinion et affecta gravement l’économie. Désormais la politique coloniale s’orienta vers l’Afrique. La conférence d’Algésiras reconnut à l’Espagne des droits spéciaux au Maroc, et, en 1912, le protectorat fut instauré sur la zone du Rif. Mais la pacification demanda de longues années. Lors de la révolte d’Abd el-Krim, Primo de Rivera s’entendit avec la France pour des opérations militaires combinées. Le débarquement d’Alhucemas (1925) fut un succès, et, deux ans après, la pacification était achevée. Entre-temps, la guerre de 1914-1918 avait profondément divisé l’opinion, la gauche étant favorable aux Alliés, la droite aux Empires centraux. Le gouvernement Dato, approuvé par Alphonse XIII, malgré ses préférences personnelles pour les Alliés, maintint une stricte neutralité qui fut profitable au pays.

Croissance démographique et économique

Toute cette période connaît une forte croissance démographique, malgré une importante émigration vers l’Amérique du Sud qui persiste jusqu’en 1914. La population passa de 16 622 000 habitants en 1877 à 18 894 000 en 1900 et à 23 564 000 en 1930. Croissance due à une forte natalité et à une baisse de la mortalité, qui restait cependant supérieure à celle de l’Europe occidentale. Des migrations intérieures firent affluer la population des zones rurales vers les grandes villes, principalement Madrid et Barcelone, et vers les zones industrielles. Le développement est également sensible dans le domaine économique. La politique gouvernementale est d’abord restée fidèle, avec quelques correctifs, au système libre-échangiste inauguré en 1869. Puis, sous l’influence des industriels catalans et des producteurs de céréales de Castille, des tarifs protectionnistes furent adoptés en 1891 et 1906. Le pays restait encore fondamentalement agricole. On assista dans les premières années de la Restauration à un recul de la culture du blé, qui obligea à des importations massives. En revanche, ce fut l’âge d’or de la viticulture, favorisée par la crise du phylloxera en France, et le vin se maintint toujours en tête des exportations. Plus tard, le fléau gagna les vignobles espagnols, tandis que la culture du blé améliorait ses rendements et que la production se rapprochait des besoins nationaux. La grande nouveauté fut l’extension prise par les cultures maraîchères, la betterave sucrière et, plus encore, les agrumes dans la zone du Levant. Dans la décennie 1920-1930, les oranges passèrent au premier rang des exportations. L’exploitation des mines connut un grand développement au temps de la Restauration sous l’influence des capitaux étrangers. Si l’extraction du minerai de plomb demeura stationnaire, il n’en fut pas de même de celle du minerai de cuivre et de celle de la houille, qui restait cependant inférieure aux besoins. La production de minerai de fer, en grande partie exportée, fit plus que décupler. Ce fut la base de l’enrichissement du Pays basque, avec pour centre Bilbao, où prospérèrent la sidérurgie, les constructions navales et la banque. L’industrie cotonnière et lainière catalane bénéficia du protectionnisme après 1891, mais elle fut durement atteinte par la ruine du commerce colonial. Sous le règne d’Alphonse XIII, on note un déclin des exportations minières, mais de grands progrès de la production de la houille et de l’énergie électrique, ainsi que de la sidérurgie. Les deux moments particulièrement favorables pour l’économie furent la guerre de 1914-1918 et la dictature de Primo de Rivera.

6. La IIe République et la guerre civile (1931-1939)

Les événements qui se sont déroulés pendant la brève durée de la IIe République et au cours de la guerre civile ont donné lieu à une énorme littérature où la propagande tient beaucoup de place. Il est difficile d’en présenter une vue objective.

Causes de la guerre civile

On a recherché les causes lointaines de cette crise d’une ampleur inaccoutumée dans le déséquilibre profond dont souffrait la société espagnole, dans la répartition très inégale de la propriété, surtout dans le Sud, dans la faiblesse de la bourgeoisie et des classes moyennes.

Il semble bien que l’Espagne ait manqué d’une base solide pour le fonctionnement d’une véritable démocratie. Ajoutons qu’à cette époque de grandes luttes idéologiques entre communisme, fascisme et libéralisme se déroulent en Europe et que l’écho en a retenti en Espagne. De même pour les conséquences de la crise économique mondiale qui débute en 1929. Elle a stoppé l’émigration, augmenté la pression démographique et amené un effondrement du commerce extérieur, qui est descendu au tiers de ce qu’il était sous Primo de Rivera. La production minière et sidérurgique a subi un recul. Le nombre des chômeurs atteignit un niveau inquiétant (675 000 en 1936). Seuls éléments favorables dans ce tableau, les bonnes récoltes de blé de 1932 et 1934 et une prospérité relative de l’industrie textile catalane. Pendant la IIe République, l’exaspération de tous les conflits, entre possédants et prolétaires, entre catholiques et anticléricaux, entre centralistes et régionalistes ne rendait possible que la révolution ou la dictature militaire. Et cela d’autant plus que, de part et d’autre, on n’écartait nullement le recours à la force. Dans l’armée revivait l’ancienne tradition des pronunciamientos. Du côté des masses ouvrières et chez les paysans les plus misérables dominait l’esprit révolutionnaire. Nulle part l’anarcho-syndicalisme, groupé dans la C.N.T. et poussé par les éléments beaucoup plus actifs de la F.A.I. (Federación anarquista ibérica), n’était aussi puissant. Et si le communisme ne comptait que peu de militants, toute une fraction du parti socialiste et de l’U.G.T., menée par Largo Caballero, n’était plus disposée à se contenter de simples réformes. La constitution, en 1933, d’un nouveau parti réunissant la Phalange de José Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur, et les Juntes offensives national-syndicalistes (J.O.N.S.) augmentait encore le nombre des partisans de la manière forte. C’est ainsi qu’on en arriva au terrible affrontement de 1936.

La IIe République

En 1931, les perspectives ne paraissaient pas aussi sombres, et c’est dans une atmosphère d’enthousiasme et dans le calme que s’effectua le changement de régime. Un gouvernement provisoire se forma sous la présidence d’un ancien ministre de la monarchie, Alcalá Zamora. Il réunissait des opinions très diverses: républicains conservateurs (Miguel Maura), radicaux (Alejandro Lerroux), radicaux-socialistes et Action républicaine (Manuel Azaña), socialistes modérés (Indalecio Prieto) ou avancés (Largo Caballero), catalanistes et autonomistes galiciens (Casares Quíroga). Malgré la mauvaise impression causée par l’incendie de quelques couvents à Madrid, les élections de juin 1931 donnèrent une énorme majorité à cette coalition où les éléments de gauche étaient prépondérants. En Catalogne, en particulier, un parti nouveau, l’Esquerra, supplantait la vieille Lliga, plus modérée. Cette région avait mis à sa tête, dès le 14 avril, un fougueux partisan de l’autonomie, le colonel Macía, qui s’était hâté de proclamer la République catalane. Le gouvernement évita la rupture en promettant une large autonomie. Très vite, les difficultés s’accumulèrent. Les articles anticléricaux insérés dans le projet de constitution amenèrent la démission d’Alcalá Zamora et de Maura. Cependant Alcalá Zamora accepta la présidence de la République, laissant la direction des affaires à Azaña, qui forma un gouvernement orienté plus à gauche (novembre).

L’œuvre réformatrice d’Azaña

Azaña resta au pouvoir jusqu’à l’été de 1933 et entreprit une œuvre de grande envergure qui visait non seulement à l’instauration d’un nouveau régime, mais encore à des transformations profondes de la société. La nouvelle Constitution établit une république de travailleurs, laïque et parlementaire, avec une assemblée unique. Elle laissait la porte ouverte à une organisation semi-fédérale de l’État, pour donner satisfaction aux aspirations autonomistes des Catalans, des Basques, et même des Galiciens. Ayant pris le portefeuille de la Guerre, Azaña réalisa une réforme militaire, en offrant aux officiers qui ne voulaient pas prêter serment de fidélité à la République de prendre leur retraite à des conditions avantageuses. Cela permit de ramener le nombre des officiers, dénoncé depuis longtemps comme excessif, à un chiffre plus en rapport avec les effectifs de la troupe. Beaucoup plus hasardeuse fut la politique anticléricale, qui se manifesta notamment par la sécularisation de l’enseignement, l’expulsion des Jésuites et l’introduction du divorce. L’opposition de tendance monarchiste, très faible sur le terrain parlementaire, tenta en août 1932, par l’entremise du général Sanjurjo, un pronunciamiento qui échoua. Cet événement facilita le vote des projets de réforme agraire dont la discussion traînait. Ils avaient pour but de faire disparaître les latifundia, de pénaliser l’absentéisme et de faire accéder les paysans à la propriété. Dans la première version du projet, les expropriations devaient comporter une indemnité, ce qui subordonnait la réalisation de la réforme aux possibilités financières. Le coup d’État manqué de Sanjurjo permit à Azaña d’accélérer la procédure, en confisquant les biens considérables de la noblesse, accusée de complicité. Par ailleurs, il fit voter le statut catalan. Le point faible de son gouvernement fut l’opposition qu’il rencontra de la part des anarchistes, qui trouvaient que la réforme agraire était trop lente.

Un corps de police nouveau, la Garde d’assaut, fut chargé de réprimer les émeutes, dont la plus sanglante fut l’affaire de Casas Viejas en Andalousie.

L’agitation politique

Les réformes entreprises par Azaña, qui ébranlaient les grands corps traditionnels, armée et Église, et qui frappaient les grands propriétaires, ainsi que l’agitation anarchiste suscitèrent une inquiétude croissante, non seulement dans les milieux visés, mais aussi dans les classes moyennes et une partie de la paysannerie. On le vit bien aux élections de novembre 1933 où la gauche fut écrasée, la majorité se partageant entre les radicaux qui avaient évolué vers la modération et une coalition des droites (C.E.D.A.) regroupant, avec les monarchistes alphonsistes ou carlistes, des éléments d’inspiration démocrate chrétienne, mais assez conservateurs, qui n’avaient pas pris parti officiellement sur la question du régime, et dont le chef était un professeur de droit, Gil Robles. Le pouvoir revint aux radicaux, soutenus par la C.E.D.A. L’année suivante, le rapprochement entre Lerroux et Gil Robles se traduisit par l’entrée de trois ministres «cédistes» au gouvernement. Les partis de gauche recoururent alors à l’insurrection. À Barcelone, où Companys, successeur du colonel Maciá, proclama l’État catalan, elle n’eut aucun succès. Mais, dans les Asturies, où socialistes et anarchistes avaient formé un front commun, elle tint pendant une quinzaine de jours la région minière, et il fallut une intervention de l’armée, dirigée depuis Madrid par le général Franco, pour la réduire. La coalition gouvernementale en sortit fortifiée. Dans toute l’Espagne, de nombreuses personnalités et militants de gauche furent emprisonnés. La réforme agraire d’Azaña fut annulée par le vote d’une nouvelle loi qui ne permettait plus l’accession à la propriété qu’à un rythme très lent. Le gouvernement parut se laisser influencer par les partisans d’une réaction sociale et les adversaires de l’autonomisme catalan. Un scandale financier ruina la popularité de Lerroux, et le président de la République chargea un gouvernement de transition de convoquer un nouveau Parlement. Aux élections de février 1936, les partis de gauche s’unirent en un Front populaire qui remporta la majorité des sièges. Leur succès était dû à la propagande en faveur de l’amnistie, à l’échec de la réforme agraire et à l’intervention du vote anarchiste. La droite se maintint mieux que le centre, qui fut écrasé.

Azaña remplaça Alcalá Zamora à la présidence de la République et chargea Casares Quíroga de former un ministère auquel les socialistes, chez qui la tendance révolutionnaire devenait prédominante, ne participèrent pas. L’ordre public fut troublé: des églises furent brûlées, des rencontres sanglantes opposèrent militants d’extrême gauche et phalangistes. Aux Cortes, les chefs de l’opposition, Gil Robles et Calvo Sotelo, dénoncèrent l’incapacité du gouvernement dans une atmosphère passionnée. Le 13 juillet, Calvo Sotelo était assassiné, en représailles du meurtre d’un lieutenant de gardes d’assaut.

La guerre civile

Le soulèvement

C’est dans ce climat de violence que se produisit ce qu’on appelle le soulèvement (el alzamiento ). Il se préparait depuis le mois de mars dans les milieux militaires. Les généraux Franco et Goded ayant été envoyés respectivement aux Canaries et aux Baléares, c’est le général Mola, gouverneur de Pampelune, qui tint en mains les fils de la conspiration et qui négocia avec les carlistes. Le meurtre de Calvo Sotelo souda la coalition des opposants. Le soulèvement commença le 17 juillet à Melilla. Franco quitta en avion les Canaries et vint prendre le commandement des troupes du Maroc. Mola, appuyé par les requetés (carlistes de Navarre), prit la direction des opérations au Nord. Il y eut quelques jours d’extrême confusion. Le coup d’État réussit assez facilement à Saragosse, en Vieille-Castille et en Galice, la République conservant le littoral cantabrique. En Andalousie, les militaires ne purent que contrôler quelques villes isolées mais importantes: Séville, avec le général Queipo de Llano, Cadix, Cordoue et Grenade. L’échec fut total à Madrid et à Barcelone, après que le nouveau gouvernement Giral se fut décidé à distribuer des armes aux milices ouvrières. Toute la façade méditerranéenne resta entre les mains des républicains. Dans l’ensemble, l’armée et la Garde civile avaient été favorables au soulèvement, mais non les gardes d’assaut; elles s’étaient heurtées aux grandes organisations ouvrières. À la différence des pronunciamientos classiques, qui réussissaient ou échouaient rapidement, le mouvement militaire n’obtint qu’un demi-succès. L’Espagne se trouva partagée en deux zones où s’instaurèrent des régimes opposés. De chaque côté, la nécessité d’assurer ses arrières amena à sévir contre les adversaires politiques et le recours à des procédés de justice sommaire.

Les interventions étrangères

Les nationalistes, comme on les appela, compensèrent leur infériorité initiale en faisant passer en Andalousie les troupes du Maroc. Une colonne, marchant vers le nord, prit Badajoz, reliant ainsi la zone sud au reste des territoires contrôlés par le mouvement. Remontant la vallée du Tage, elle délivra les assiégés de l’Alcazar de Tolède et arriva aux portes de Madrid (octobre). Au nord, les troupes navarraises coupèrent la zone républicaine de la frontière française et conquirent le Guipúzcoa. C’est alors que le front commença à se stabiliser. Les interventions étrangères y contribuèrent. Dès le début, l’aide italienne avait été précieuse pour les nationalistes, et les républicains avaient obtenu quelques avions du gouvernement français. Un comité de non-intervention fut mis sur pied, sur l’initiative de la France et de l’Angleterre. Il ne put empêcher, du côté nationaliste, la présence massive de troupes italiennes et l’envoi d’un groupe de spécialistes allemands, la légion Condor, ainsi que des livraisons de matériel de guerre; du côté républicain, des fournitures considérables de matériel par la Russie soviétique. À l’instigation du Komintern se constituèrent des brigades internationales. Elles contribuèrent à arrêter l’offensive adverse sur le front de Madrid.

Dès lors, la guerre se prolongea. En 1937, une tentative de débordement de Madrid, menée par les Italiens, échoua à Guadalajara, mais le général Franco conquit successivement la Biscaye, Santander et les Asturies, liquidant ainsi le front nord. En janvier 1938, les républicains prirent Teruel, mais ils en furent délogés le mois suivant. En mars, les nationalistes enfoncèrent le front d’Aragon et atteignirent bientôt la Méditerranée à Vinaroz, coupant la Catalogne du reste de la zone républicaine. L’offensive se poursuivit avec plus de lenteur vers Valence. Les républicains attaquèrent alors sur l’Èbre; une bataille d’usure, qui dura jusqu’en novembre, épuisa leur potentiel militaire. Prenant l’offensive à la fin de décembre sur le front de Catalogne, les nationalistes arrivèrent en six semaines à la frontière. Plus de 400 000 personnes, civils ou militaires, se réfugièrent en France. Dans la zone Madrid-Valence, les partisans de la reddition l’emportèrent sur ceux de la guerre à outrance, et tout fut terminé le 31 mars.

Républicains et nationalistes

Que fut, pendant la durée de la guerre, la vie dans les deux zones? Du côté républicain, le gouvernement Giral ne put empêcher une véritable révolution. Sauf au Pays basque, le culte catholique ne fut pas célébré et des milliers d’ecclésiastiques périrent. Le processus de collectivisation, prôné par les anarchistes et freiné par les communistes qui subordonnaient tout à la conduite de la guerre, atteignit son maximum, à la campagne en Aragon, dans les usines en Catalogne. En septembre 1936, Giral céda la place à Largo Caballero, qui forma un ministère où entrèrent des communistes et, peu après, des anarchistes. La coalition manquait de solidité; le désaccord était patent entre communistes et anarchistes. En mai 1937, les deux camps s’opposèrent violemment à Barcelone. Largo Caballero fut remplacé par un autre socialiste, le Dr Negrín, qui confia le portefeuille de la Défense nationale à Prieto. Les anarchistes ne participèrent plus au gouvernement, et, jusqu’aux derniers jours de la guerre, l’influence communiste fut prépondérante, en raison de la nécessité absolue du soutien soviétique. Entre-temps, Prieto avait donné sa démission. Ce n’est qu’après la victoire des nationalistes en Catalogne que les communistes eurent le dessous.

Dans la zone nationaliste, c’était également une coalition qui soutenait les généraux. Elle comprenait les monarchistes alphonsistes et les amis de Gil Robles, mais les éléments les plus actifs étaient les carlistes et les phalangistes, ceux-ci privés de leur chef, José Antonio Primo de Rivera, emprisonné puis exécuté à Alicante. Ce sont apparemment les excès antireligieux commis dans l’autre zone qui contribuèrent le plus à cimenter cette coalition. Avec les encouragements de l’épiscopat, la guerre fut considérée comme une croisade. Tout d’abord n’avait été constituée qu’une junte militaire présidée par le général Cabanellas. La mort accidentelle de Sanjurjo, dès le début du soulèvement, facilita l’accès au pouvoir du général Franco, désigné comme chef de l’État et généralissime le 1er octobre 1936. En 1937, il réussit à associer dans un parti unique carlistes et phalangistes. Cette cohésion fut un des facteurs essentiels du succès.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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